
Sapiens de jadis et d’aujourd’hui
Imaginons un instant la scène : voilà 100.000 ans, un groupe d’Homo Sapiens débat vivement autour du feu dans une caverne. Le sujet du jour : « comment ne pas se faire distancer par d’autres espèces d’Homo, toutes mieux parties dans la lutte pour la survie ».
Miser sur le Sapiens, grêle et fragile de l’époque, prête en effet à rire face au musculeux Neandertal, au résistant Dénisovien, au rusé Flores, et surtout face au mammouth, au gigantesque ours des cavernes ou au terrifiant tigre à dents de sabre. Seul point commun entre tous ces rameaux du genre Homo : ils vivent en petits clans de chasseurs-cueilleurs, sous la dure autorité d’un ou deux grands mâles, toujours prêts à se combattre comme à repousser hors de l’abri tout autre groupe tribal similaire.
Dans l’antre, une femelle dominante jette alors en débat une idée forte : « Pourquoi ne pas nous transformer en groupe agile ? » dit-elle. Devant des interlocuteurs perplexes, elle poursuit : « C’est devenir un groupe capable de mobiliser son intelligence collective pour créer de la valeur et évoluer de façon itérative et en continu, avec une économie de moyens et d’énergie, et en créant les conditions d’épanouissement de ses membres ».
Seul le grand mâle aux arcades sourcilières proéminentes, à la large mâchoire et aux pectoraux et deltoïdes body-buildés, hausse les épaules : « Sans chef bien chargé en testostérone, ça ne peut pas marcher ! ».
Pourtant, en à peine quelques dizaines de millénaires, sa descendance applique tous les préceptes de la grande femelle. Et vers 30.000 ans avant J.C. tous les concurrents sont éliminés à l’exception de quelques fugitifs néanderthaliens en voie d’extinction.
Un profil nouveau de manager
Le premier signe apparent de changement, souligné par plusieurs paléoanthropologues, est l’adoucissement considérable des visages : féminisation crânio-faciale et disparition du bourrelet sus orbitaire… liées à des rétroactions entre nature et culture – disent les experts. Inutile d’avoir des mâles terrorisant tout le monde chez eux et systématiquement agressifs avec les étrangers à leur territoire
Mieux vaut un développement de la coopération intra et intergroupe et de la sociabilité. Les Sapiens constituent ainsi des coalitions puissantes, inédites dans tout le monde animal. Avec à la clé, partage d’innovations multiples et diffusion de cultures sans cesse plus élaborées.
Certes, l’hyper virilisme a resurgi il y a 5 à 10.000 ans avec la naissance de l’agriculture puis des villages et des premiers empires. Le partage des tâches et des rôles et la concertation, tels que pratiqués chez les chasseurs-cueilleurs ont été totalement effacés par des pouvoirs pyramidaux de plus en plus écrasants.
Mais aujourd’hui que constate-t-on ? La féminisation a repris, renforçant des valeurs de tolérance et de coopération. Jusqu’à influer indirectement sur la morphologie des hommes !
À quoi sert un corps de grand costaud quand les travaux à la mine ou aux champs ont disparu ou que les plus farouches guerriers sont confrontés aux armes d’aujourd’hui, parfois actionnées par des jeunes femmes militaires ? À quoi sert un chef qui n’est que potentat ?
Ce que l’espèce Sapiens a fait en 90.000 ans, chaque entreprise doit le faire en quelques petites années. Comme l’indique un article récent d’Harvard Business Review sur l’entreprise agile, celle-ci doit développer une capacité à épouser le changement, permettre des boucles de feed-back rapide, façonner des équipes pluridisciplinaires, accroître la communication coopérative en dedans et en dehors des lieux de production, instituer le respect et le développement personnel des individus, viser une croissance durable…
Chacun de ces items est une facette des compétences à développer en urgence chez tout manager, à tout niveau. Toute inertie en la matière conduirait à devenir la prochaine population menacée d’extinction.