Ecouter 40 minutes d’interview de Fabien Galthié par le philosophe Charles Pépin est un régal
Le 11 août dernier, sur les ondes de France Inter, les propos du sélectionneur du XV de France allaient bien au-delà des commentaires stéréotypés à destination des aficionados de l’Ovalie. C’est une grande et profonde leçon de management
Construire une « belle équipe » ne peut se réduire à une simple addition de talents, financée ou non à chéquier ouvert. Pour Galthié, c’est d’abord un processus mental qui infuse plusieurs années dans un groupe. L’enjeu consiste à transformer des individualités à l’ego très fort en coéquipiers humbles, résistants à l’échec et prêts au sacrifice de soi. Progressivement, un être collectif apparait, avec sa psyché propre. Il se vit comme une nouvelle entité bien supérieure à la somme de ses constituants.
A travers les propos de Galthié, on relève une belle inversion des métaphores : alors que le discours habituel d’entreprise use et abuse de comparaisons sportives, le sélectionneur utilise à bon escient de concepts managériaux pour exposer son approche. Sans doute parce que cet entraineur a une culture d’entreprise depuis la sortie de Sup de Co Toulouse. Mais aussi parce qu’il y a des invariants dans toute communauté humaine que sa longue carrière dans l’art rugbystique lui a permis d’analyser.
Cette « substantifique moëlle » fait la valeur de cet interview pour tout manager.
Passer de l’arithmétique à la mystique
D’abord, il n’y a ni équipe ni entreprise faite de clones – dit-il. La diversité des profils est bien plus qu’une réalité, une nécessité pour réussir un challenge au long cours. Au rugby, aucun poste ne requiert le même profil de joueur. L’art du sélectionneur consiste d’abord à repérer les individus à bon potentiel puis à placer la bonne personne au bon endroit. Enfin, à cette place précise, à renforcer constamment ses points forts plutôt que se centrer sur ses points faibles.
Mais pour passer de l’agrégation à l’union, voire à la fusion au sein d’un groupe, Galthié insiste sur « la flèche du temps ».
Son concept résume 3 dimensions :
- une maturation longue
- des étapes définies à l’avance et un objectif commun
- une vision partagée.
Sans appropriation du contenu, connaissance des étapes et finalité du projet, il ne peut y avoir déconstruction puis reconstruction de chacun. On en reste à d’inefficaces incantations.
« Tous sont pétris d’ambition et d’ego mais ils se convainquent que pour être un grand joueur il faut être d’abord un grand partenaire. On ne peut faire équipe si on est obsédé par les talents individuels. Ce qui est vraiment primordial c’est la solidarité et la cohésion du groupe » souligne le sélectionneur.
Gérer le cerveau émotionnel
Une des leçons de Galthié est la place importante à accorder à la gestion des émotions dans la conduite d’un groupe. Il ne s’agit ni de câlinothérapie ni de minimisation des exercices purement physiques et techniques. Mais la gestion du stress, des émotions désagréables, des échecs, des relégations temporaires, des blessures …justifie une intrication forte de la thérapie collective et des thérapies individuelles. Les effets de contagion – souligne-t-il – peuvent brutalement s’inverser de positifs à négatifs, si, par un virilisme à courte vue, on minore l’importance du cerveau émotionnel.
Cette attention aux émotions individuelles fait naitre la confiance en soi, ingrédient de base de toute performance. In fine, surgit autre confiance, collective : celle dans les capacités du groupe et sa supériorité mentale.
Ces réflexions d’un grand coach rappellent que le succès, dans le sport comme dans l’entreprise et d’autres domaines de la vie, repose sur une prise en compte de toutes les dimensions humaines dans un groupe. Une pate humaine à travailler patiemment sur le temps long, dans de bonnes conditions de température et de pression.
Emission : « Sous le soleil de Platon » à écouter en podcast -France Inter