L’ancien PDG de Best Buy, désormais enseignant à Harvard, livre sa vision d’un leadership adapté aux turbulences et incertitudes de notre époque.
Faire face à la situation de « polycrises » que nous connaissons aujourd’hui requiert un autre type de leadership. « Celui du XXe siècle n’est, en grande partie, plus pertinent. Si quelques fondamentaux demeurent, le dirigeant qui est le plus intelligent, le plus brillant et se contente de donner des instructions est dépassé. Sauf, bien sûr, quand la maison prend feu et qu’un chef pompier est nécessaire », prévient l’ancien dirigeant de Best Buy Hubert Joly, aujourd’hui enseignant à Harvard. « La quête de la perfection est diabolique, alors que le leader a tout à gagner à dire ‘je ne sais pas’, à se connecter aux autres et à avouer qu’il a besoin d’aide », poursuit-il. Une telle attitude s’adapte à notre contexte bousculé de Covid-19, de guerre en Ukraine, de fractures sociétales et de crise environnementale, observe l’auteur de « L’Entreprise, une affaire de coeur » (Plon).
« Careship » plutôt que « leadership »
L’environnement dans lequel nous vivons change les attentes des parties prenantes. Le leader en tient désormais compte, agit en coach et sait créer un environnement qui « libère la magie humaine ». « Cinq mots le caractérisent et le rendent charismatique : authenticité, vulnérabilité, humilité, empathie et humanité. Du reste, il serait plus approprié de parler de ‘careship’ – pour reprendre l’expression de mon ami Samuel Rouvillois – plutôt que de ‘leadership’ », estime Hubert Joly. Cependant, avant de parvenir à ce stade, il faut savoir se changer soi-même.
Problème : en France, certains patrons peinent à briser leur carapace. « La faute en incombe à notre registre purement cérébral ainsi qu’à notre incapacité à parler de notre sphère privée – y compris de notre âme – dans un contexte public. Résultat : le leader se retrouve, le plus souvent, coupé de l’intégralité de la personne qu’il est vraiment », déplore l’ex-grand dirigeant, qui considère que quand on est clair sur ce que l’on est et au service de quoi on se met, on peut orienter sa vie et lui donner du sens.
Le leadership se fait aujourd’hui tellement exigeant que le spectre de l’intelligence requise pour diriger s’élargit considérablement : elle se doit d’être spirituelle, physique, émotionnelle, commerciale, intellectuelle, environnementale et sociétale. « Sept mots dont l’assemblage de chaque première lettre forme ‘species’, ce qui tombe à point pour désigner la nouvelle espèce de leaders que j’entrevois », souligne Hubert Joly.
Contexte de grande diversité
Ces nouveaux profils doivent savoir jongler avec plusieurs ingrédients : le sens, les connexions humaines, l’autonomie, la sécurité psychologique et un environnement qui favorise l’apprentissage et la croissance. Ce, dans un contexte de grande diversité (de genre, âge, origine…) qui est « un facteur de succès dès lors qu’elle est bien gérée et qu’on accorde un temps suffisant à l’inclusion ».
Et qu’est-ce qui motive les équipes, au bout du compte ? « Pas les incitations financières, dont des travaux de recherche ont montré qu’elles pouvaient conduire à détériorer la performance. A mes yeux, notre principal moteur est intérieur. On parle alors de motivation intrinsèque (trouver du sens, aider les autres, faire du bien, rendre service) et de leadership de l’intérieur vers l’extérieur. Autre point important : on insiste beaucoup, en entreprise, sur le quoi (la stratégie) et le pour quoi (la raison d’être). Mais il nous faut davantage travailler sur le comment, qui touche à la culture interne », pointe Hubert Joly.
In fine, le ou la leader s’apparente un jardinier, qui crée un terrain fertile pour que les graines puissent y prospérer. On le constate, selon Hubert Joly, autant chez Microsoft et Netflix que Best Buy. L’interdépendance est clé. Du reste, les champions sportifs recourent bien à des coachs pour optimiser leur mental, leurs techniques et leur régime diététique. Par quelle curieuse tournure d’esprit un dirigeant pourrait-il croire pouvoir s’en sortir tout seul ?
Synthèse de l’article des Echos du 24/08/2023, interview de Muriel Jasor